Philippe, suite

 

          D'après ce que je sais, je crois que Philippe a été un enfant, et un adulte, pourri gâté par ses parents, et en particulier par sa mère qui l'adorait et réciproquement. Ses parents ont fini par mourir et il ne s'en est jamais remis. Il vivait avec eux depuis l'âge de 45 ans. Il croyait tout simplement que ça allait durer. Son père est mort, puis sa mère et il n'a jamais pu l'accepter. Philippe va avoir 67 ans en février. Il a une soeur, plus agée, avec laquelle il n'a que très peu de contacts. L'appartement dans lequel il vit lui a été payé par ses parents.

          Il a vécu la belle vie, longtemps. Il a fait les Beaux-Arts pour devenir architecte. Puis il y a eu l'arrivée de l'informatique et il n'a jamais voulu s'y mettre. Il a cessé de travailler et est retourné vivre avec ses parents. C'était la belle vie, il était choyé par sa mère. Puis elle est morte. Et tout s'est écroulé pour lui. Dans son appartement, il y a un tas de cartons de déménagement qu'il n'a jamais déballés.

          Il a vécu quelque temps avec une mannequin qui se défonçait aux médicaments. Ils ont eu un enfant qui est mort à deux mois. Et ça non plus, il ne s'en est jamais remis. C'est triste. 

          Philippe a tout laissé tomber, il ne fait plus le moindre effort. C'est triste pour lui. Sa mère était tout, lui faisait tout, il n'a pas supporté qu'elle meurt. Maintenant, il vit quasiment comme un animal. Il attends impatiemment la mort, il nous l'a déjà dit. 

          Autre chose, c'est que Philippe s'est retrouvé plusieurs fois à l'hôpital. Schizophrénie, soit-disant. Il voit un psy au CMP de temps en temps et, comme Franck, se prend une injection d'Haldol dans les fesses toutes les trois semaines. Pourtant, je ne l'ai jamais vu délirant. Ce qui m'interroge, ce sont les infirmières qui le piquent qui ne s'alarment même pas de son état de délabrement. Personne n'ose intervenir.

         Je ne sais pas jusqu'où cette situation va perdurer. Mais moi, je ne suis pas assez forte pour m'occuper de lui. J'ai essayé par le passé, durant un an, je suis allée chez lui pour lui faire des courses et lui tenir compagnie, avec Franck et Odile. Il ne nous a jamais remerciés.

         Je ne suis plus assez forte pour le supporter, en plus de Franck. Ce n'est pas de ma faute s'il n'a pas su prévoir que ses parents allaient mourir un jour. Ce n'est pas mon affaire si lui-même veut mourir. Je n'y peux rien du tout. Il ne fait pas le moindre effort pour aller mieux. Il pourrait au moins être reconnaissant envers Franck, qui est plus que sympa avec lui. Mais même pas.

         Voilà, ce que je pouvais dire de Philippe.