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Journal de Stef - Page 10

  • Jeudi, nuit

     

              Ce que je possède : des vêtements, pas beaucoup, ça tient dans un sac-à-dos de camping, quelques livres et quelques dvds, soit environ deux sacs shopping, mon ordinateur, mon téléphone et deux ou trois bricoles. C'est tout ce que je possède. C'est peu mais ce sont des choses auxquelles je tiens. Enfin, je n'ai vraiment pas grand-chose. Ça tient largement dans ma Twingo.

              Je me suis fait la réflexion qu'en dix ans de relation avec Franck, je n'ai absolument rien construit. Il n'y a rien qui nous attache l'un à l'autre.

              Pour lui, c'est plus ou moins reparti comme avant. Tout à l'heure, il a dit un truc, je ne sais plus quoi exactement, mais il faisait allusion au fait que nous étions "chez nous". J'ai répondu quelque chose comme : "Oui, toi tu es chez toi". Bien que là, ce ne soit pas vraiment exact puisque c'est sa mère qui est propriétaire de l'appartement. Mais moi, je ne suis pas chez moi et ça me pèse énormément. Quand je lui ai répondu que lui était chez lui, il m'a dit : "Oui, mais tu en profites aussi'. Franck est persuadé que je reste avec lui pour le confort matériel qu'il m'apporte. Et il pense qu'en échange, je dois tout accepter de lui. Je dois le satisfaire sexuellement, faire le ménage ( car la femme de ménage que sa mère nous a obligés à prendre ne fait pas tout ce qu'il y a à faire ), faire la bouffe, aller chercher les courses, le conduire à ses rendez-vous et l'attendre dans la voiture, aller chercher ses médicaments à la pharmacie, faire la vaisselle, vider les poubelles, remonter les bières qui sont stockées dans le garage, m'occuper de Max, m'occuper de la lessive... La liste n'est pas exhaustive. C'est simple, il ne fait absolument rien, je fais tout, et il trouve encore le moyen de se plaindre.

              Ce n'est pas simple de partir.

              Il faudrait que je me lance, que je fasse une sorte de coming-out, comme les homosexuels. Il faudrait que je lui dise : "Je pars, je m'en vais". Et voir ce qu'il se passe. Je crois bien qu'il ne me retiendrait pas, par orgueil. Je ne veux pas penser à ce qu'il deviendrait sans moi. Ce n'est pas mon problème. J'en ai assez qu'il me traite comme une merde.

              Et puis, je suis si seule ! Impossible de rencontrer qui que ce soit dans ces conditions.

  • Mercredi

     

              Je me suis réveillée un peu la boule au ventre, me demandant comment allait se passer la journée. J'arrive dans le salon, Franck m'adresse un "salut" peu enjoué. Je réponds la même chose, sur le même ton. Ensuite, je m'installe comme hier devant mon ordi, avec mon café, sans un mot, ni d'un côté, ni de l'autre. Enfin, il finit par m'asséner : "tu peux te chercher un appart, Stéphanie". J'ai répondu : "ouais, ouais", et je suis retournée à mon café et à mon silence.

              Plus tard, coup de sonnette. J'ai cru que c'était sa mère qui débarquait. Non, c'était Philippe et Nicolas. Nous n'avions pas revu ce dernier depuis que nous l'avions hébergé avec sa copine en 2019. Ce sont les deux seuls copains de Franck, schizophrènes comme lui. Ils sont restés un moment, le temps de boire une bière. 

              Philippe était dans un état de crasse indescriptible et Nicolas n'était guère mieux. Et tous les deux dégageaient une odeur insoutenable qui a persisté dans la pièce même après leur départ. Pour la conversation, Philippe n'a pas prononcé le moindre mot, tandis que Nicolas déblatérait tout seul son éternel discours, avec les mêmes vieilles histoires depuis des années. Même Franck ne pouvait pas en placer une. Il n'y avait aucun échange, aucune communication. Voilà donc ses copains. Je crois que ça lui a fait un choc de voir Nicolas dans cet état. Il l'avait de temps en temps au téléphone, mais il ne s'attendait pas à le voir dans un tel état physique.

              Puis, quand ils sont partis, l'ambiance s'est un peu détendue. Et Franck me dit : " Bon, on ne va pas se désolidariser". En gros, il a certainement réfléchi et n'est pas très à l'aise avec l'idée de se retrouver seul avec sa mère et ses deux seuls copains. 

              Je ne l'ai pas détrompé, mais j'ai bien l'intention de partir quand même. Hier soir, je me suis renseignée sur les démarches à effectuer lorsqu'on se retrouve sans-abri, l'hébergement d'urgence. Il faut appeler le 115, et de là, on peut rencontrer les travailleurs sociaux qui vont vous accompagner. J'espère ne pas en arriver là, mais s'il le faut...

              Bon, tout ça pour dire que, comme toujours, Franck voudrait se débarrasser de moi, mais pour le moment, je suis encore bien trop utile ! Il s'est ravisé. L'atmosphère sera peut-être un peu moins tendue. Hé hé, il a quand même trouvé le moyen de me dire qu'hier soir, je n'avais pas fait la vaisselle... Sans commentaire.

  • Mardi, suite

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  • Mardi

     

              Aujourd'hui, je me suis réveillée en entendant Franck parler au téléphone avec sa mère. Il avait mis le haut-parleur. Il se plaignait de moi. Et elle a répondu que je le tirais vers le bas. J'ai alors déboulé dans le salon, assez furax d'entendre ça. Me voyant arriver, il a immédiatement mis fin à la conversation. Je me suis un peu énervée et il m'a lancé méchamment qu'il n'avait pas envie de parler. Et la journée est passée comme ça, sans un seul mot. Lui, dans le canapé, moi, au bureau devant mon ordi.

              Et vers 19h, nous entendons frapper fort contre les volets qui étaient fermés à cause de la chaleur. Sa mère et une de ses copines. Elle n'a même pas téléphoné avant de passer, non, elle s'est incrustée, comme ça, avec sa copine. Franck a fait comme si de rien n'était. Moi, j'étais très mal-à-l'aise. Et je crois que tout le monde l'a remarqué.

              Alors voilà, selon sa mère, je tire Franck vers le bas. C'est un peu vexant, quand même. Pas vraiment sympa. Mais bon, je savais déjà qu'elle était hypocrite à mon sujet. Ce n'est pas une surprise.

              Moi, j'ai commencé à m'énerver en entendant leur conversation, mais très vite, je me suis ravisée. Je n'ai plus du tout envie de m'énerver. Et finalement, je n'ai pas passé une si mauvaise journée. Ne pas entendre Franck déblatérer des conneries à longueur de temps, aller à mon rythme, ne pas être obligée de parler ou être en difficulté car je ne trouve rien à dire, ça m'a finalement fait du bien. J'ai passé la journée à lire des trucs positifs, des articles, des citations. Je me suis bien un peu ennuyée par moments, mais pour ça, contrairement à Franck, je ne m'en prends qu'à moi-même.

              Et je n'ai aucune idée de ce qu'il va se passer demain !

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  • Lundi, nuit

     

              C'est dur, très difficile. Partir, dès que je peux. Je m'accroche. Il me déteste tellement que j'ai peur qu'il m'agresse. On ne sait jamais ce qui peut arriver avec un schizophrène. Il suffit qu'il pète un plomb.

     
    C'est quoi la cruauté mentale ?
     
     
    Elle se caractérise par le comportement moralement agressif ou violent d'un individu vis-à-vis d'un autre individu. Elle peut se manifester par des paroles ou des actes qui influencent l'autre dans ses sentiments d'être aimé ou détesté.
  • Mardi

     

              Je déprimais un peu, ne voyant pas trop de solution. Je me suis dis que j'allais ouvrir Pinterest et voir... Et sur la première page, tout en haut, écrit en gros, il y avait ça :

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              Ben, ça m'a fait du bien ! :)

  • Dimanche, nuit

     

              Je me suis fait un compte sur le site de l'agence pour proposer ma demande. Il faut un garant. Ça va être difficile de trouver un logement avec un petit revenu et sans garant.

              Du coup, je vais essayer de prendre un rendez-vous avec une assistante sociale de ma ville. C'est tout ce que je peux faire. Il y aura peut-être une solution. 

              A part ça, la journée a été mortelle. Franck et moi ne nous sommes presque pas adressés la parole. L'ambiance était bien lourde. Je me suis réfugiée devant mon ordi. J'ai aussi lu un peu. Mais pas facile de se concentrer dans ces conditions.

              Bon, demain, j'ai des démarches à faire, ça va m'occuper un peu. Ça va me faire avancer.

  • Je voudrais être un ours

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  • Samedi, nuit

     

              J'ai trouvé une annonce pour un grand studio pas cher dans ma ville. Ça fait un moment qu'elle est là. C'est proposé par une agence. 390 euros charges comprises. Je ne trouverai pas moins cher. Avec de la chance, ça pourrait marcher. Je n'ai pas de garant, mais avec ma pension, je ne risque pas d'être au chômage, c'est un avantage.

              J'ai même commencé à regarder les prix pour un clic-clac, un frigo, une machine à laver... Ça ne coûte rien de regarder. Dans ce studio, il y a la place pour une machine à laver. Dans mon ancien logement, il n'y avait pas la place et je faisais ma lessive à la main. Même les draps, la housse de couette. Je trouvais la laverie automatique trop chère et les machines étaient sales et souvent en panne. Ça me ferait vraiment plaisir d'avoir une machine à laver.

              Il y a un autre logement pas trop cher proposé par cette agence. Plus petit et divisé en deux pièces. 430 euros charges comprises. C'est plus petit et plus cher mais ça pourrait aller aussi. En revanche, il n'y a certainement pas la place, ni l'installation pour une machine à laver. Mais bon, je ne vais pas faire la difficile.

              Il y a plusieurs questions auxquelles je n'ai pas de réponse. Je crois que je ne peux pas tout contrôler. J'essaye pourtant de réfléchir à un maximum de choses.

             Si je postule pour ces annonces, Franck va savoir que je veux partir et je ne sais pas du tout comment il va réagir. Si j'obtiens un de ces deux logements, parfait, je pourrais partir rapidement et nous n'aurons plus longtemps à cohabiter. Mais si ça ne marche pas, que va-t-il se passer ? Combien de temps avant d'avoir une nouvelle opportunité ? Franck va-t-il avoir la patience d'attendre que je puisse partir dans de bonnes conditions ? Après tout, je suis chez lui. Je n'ai aucune légitimité ici.

              Je suis retournée un peu en arrière sur mon blog pour m'apercevoir que ça fait plus d'un mois qu'il me fait la gueule quasiment sans discontinuer. J'avoue que je ne le comprends pas. 

              Franck ne pense qu'au sexe. C'est la seule chose qui l'intéresse. Mais attention, quand je dis "sexe", je ne parle pas d'une relation saine, d'amour partagé, de tendresse. Ce qui l'intéresse, c'est le porno. Il est vulgaire, brutal, pervers. Il y a des années qu'il n'y a pratiquement plus rien de sexuel dans notre relation. Ça ne m'intéresse plus du tout, et surtout pas de la façon qu'il l'entend. Il en est profondément frustré, je comprends.

              Mais encore, je dois dire qu'il serait bien incapable d'avoir une relation sexuelle "normale" ou même porno puisqu'il ne jure que par ça, vu dans l'état physique où il se trouve. C'est la crise cardiaque assurée. Il est énorme et souffle comme un boeuf au moindre effort. Même s'il avait une partenaire adéquate, il ne pourrait rien faire de tout ce qu'il fantasme continuellement.

              Je comprends qu'il soit frustré, vu qu'il ne pense qu'à ça, mais je ne comprends pas qu'il ne soit pas plus réaliste. Je crois qu'à un certain âge ( il a 54 ans ) et dans sa situation physique et mentale ( schizophrénie ), il devrait s'estimer heureux de ne pas être seul, d'avoir une copine qui n'est certes pas parfaite, mais qui fait quand même beaucoup de choses pour lui. Et qui l'a supporté jusqu'ici, vu qu'en plus, il se permet le luxe d'être invivable.

             Je ne le comprends pas. Il ne réfléchit pas plus loin que le bout de sa bite. Qu'il ne voit plus depuis belle lurette à cause de son énorme ventre. Il n'y a quand même pas que le sexe dans la vie ! Ben, pour lui, si, il n'y a que ça, c'est la seule chose qui l'anime.

             Sans moi, il va se retrouver seul avec sa mère, qui aura totalement le champ libre. Et elle ne souhaite qu'une chose : le faire hospitaliser et prendre le contrôle. Je l'ai prévenu plusieurs fois sur ce sujet. Enfin, ça, ce n'est pas mon problème !

             Je serai enfin soulagée de ne plus supporter sa mère et ses scandaleuses intrusions. Qu'ils se démerdent tous les deux !!

             Lundi, je verrai ce que je peux faire pour ces deux logements.       

  • Un rêve

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